Jean-Claude GUILLEBAUD |
Jean-Claude Guillebaud a beaucoup lu les essais contemporains, de Changeux à Ricoeur, de Marcel Gauchet à Maurice Bellet en passant par Brender, Virilio, Monod et cie. Mise en musique en un style recherché, d'accès facile cependant, une idée simple : sous couvert de libertés tous azimuts, liberté de la recherche, liberté d'opinion, liberté des murs, le libéralisme aux multiples facettes a rongé les racines du vivre-ensemble contemporain. Au point qu'il faille refonder le monde. Cette refondation est posée sur les Lumières à la sauce contemporaine, le respect des autres et de soi-même, en une sorte de charité laïque, une tolérance fondée sur l'égalité, et qui n'emprunte rien à la licence, enfin une liberté absolue de conscience qui ne méprise pas les courants religieux, notamment chrétiens, et assume les pensées grecques et juives. Chemin faisant, bataille est livrée contre le scientisme toujours renaissant où l'auteur voit avec juste raison un avatar de la pensée libérale. Le projet est de poser des balises suffisamment universelles pour échapper au relativisme délétère. Le projet est sympathique, mais il se heurte à la contradiction fondamentale bien repérée jadis par Schumpeter : la raison universelle qui sert de référence est celle-là même qui a engendré depuis deux siècles l'individualisme dont meurt la société d'aujourd'hui. Dans une société complexe où « le ciel des valeurs est un ciel déchiré », où les logiques économiques, politiques et sociales s'affrontent sans pouvoir se réduire à une seule, il est peu probable que la morale publique puisse être fondée sur le seul discours, fût-il écrit d'une plume aussi allègre et argumentée que celle de Jean-Claude Guillebaud. Etienne Perrot |