Peter SLOTERDIJK
L'Heure du crime et le temps de l'oeuvre d'art
Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni. Calmann-Lévy,
2000, 162 pages, 95 F.

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Les quatre articles dont est composé ce petit volume ne devraient pas manquer d'irriter certains ; il serait toutefois regrettable de se contenter des polémiques médiatisées à loisir qui ont tourné autour de l'auteur pour se dispenser de juger sur pièce. La thèse est provocante, volontairement : « Pour l'essentiel, les temps modernes sont l'époque où l'on sort de la maison de l'Etre. C'est l'heure du crime, du monstrueux. » Nostalgiques de l'origine, déçus de la technique, ainsi qu'apologistes de la modernité et de ses illusoires progrès sont soumis ici à rude épreuve. Mais qu'est-ce qu'une pensée qui ne dérange pas ? Pensée d'insomniaque ou, mieux, pensée insomniaque : le dernier essai, consacré à une sorte d'éloge de Cioran (l'un des grands insomniaques de la pensée), oppose « la petite monnaie de la rédemption du mal », dont se décharge « l'homme fatigué » qui peut dormir, à « la méditation du monstrueux », à laquelle est contraint celui qui ne peut dormir. L'auteur, avec une rage froide qui fait bien souvent songer à Stirner face à Hegel, lit notre monde, « celui qui vient », et qui est déjà là en grande partie, avec et contre les thèses de Heidegger, à propos desquelles il ne cesse de mener une lutte corps à corps. On lira la très belle méditation que lui inspirent les sépultures respectives de Hannah Arendt, sur le campus du Bard College, dans l'Etat de New York, et celle de Heidegger dans son village natal. Cohérents jusqu'au bout, ils auront fait de leur dernière demeure des invitations à penser. Polémique, provocant, toujours stimulant et inventif, ce petit livre mérite attention.

Francis Wybrands

Juillet-Août 2000 : Revue des Livres - Choix de Disque - Sommaire du numéro

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