Heinrich von KLEIST Récits Oeuvres complètes, t. II. Le Promeneur, 2000, 306 pages, 160 F. Correspondance (1793-1811) Oeuvres complètes, t. V. Le Promeneur, 2000, 484 pages, 195 F. Il existe de Kleist, produit pur de l'aristocratie prussienne, un médaillon célèbre ; on dirait un bébé joufflu ou l'adolescent interminable. A lui seul, le regard déjà dit tout autre chose : la clairvoyance sans pitié, la capacité de souffrir, « le souci de la petite plante du bonheur », l'obéissance à « la prescription intérieure », quand avec Kant tout un monde s'est écroulé dans la seule certitude des phénomènes. Rien ne le détournait de sa résolution. Et Goethe lui-même ne comprit rien à ce tragique moderne, quand entre le monde et le désir la disharmonie est totale et qu'il faut se ranger ou s'en aller seul à l'aventure. Ces deux volumes des oeuvres complètes en français, remarquablement traduits et annotés, feront date. Il y a les récits connus (La Marquise d'O., Michaël Kolhaas commenté par Eric Weil...), et il y a la correspondance, qui tient constamment en haleine jusqu'à l'invraisemblable dernière lettre, où Kleist annonce à sa soeur qu'il part, joyeux et libéré, pour le suicide avec son amie de la fin, malade du cancer et qu'il tue avec son accord. Magnifique intelligence de la jeunesse déchirée, non par pur subjectivisme, mais parce que l'ordre du monde apparaît faux. La tragédie allait durer ; si l'on pense aux Français, ces « singes de la raison » que Kleist n'aimait guère, Artaud, Nizan, d'autres parleront-ils différemment ?Guy Petitdemange |