Jean-Luc NANCY
L'Intrus
Galilée, coll. Lignes fictives, 2000, 56 pages, 65 F.

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Ce très beau petit livre est à mettre à part dans l'oeuvre de J.-L. Nancy. Non qu'il soit moins « philosophique » que ses autres écrits, mais il l'est autrement, et sous un mode qui devrait pouvoir toucher un public plus large que celui auquel s'adresse habituellement cet homme de pensée. C'est d'un récit qu'il s'agit, en effet, et même d'un récit – mais le mot garde-t-il ici son sens ? – « autobiographique » : le devenir-étrange(r)-à-soi-même d'un « coeur » d'abord qui lâche et qu'il va falloir « extruder » (18), puis d'un corps et finalement d'une vie que la greffe et les traitements qu'elle déclenche vont mettre à l'épreuve d'une « intrusion » multiple et généralisée. Rien ne saurait rester intact dans ce glissement vertigineux vers une désappropriation où tout vient d'« ailleurs » (22), où l'intrus (re)surgit d'où on ne l'attendait pas, où la vie côtoie incessamment la mort et ne se maintient qu'au prix de souffrances inouïes. « On sort égaré de l'aventure. On ne se reconnaît plus » (39). De cet abîme pourtant, de cette plongée du corps jusque dans l'extrême de la dépossession, renaît encore une pensée toujours vouée à l'écriture et à « l'excription » du sens ; comme si Nancy exposait et creusait, à partir de son propre cas, « l'inquiétante poussée de l'étrange » (45) qui vient affecter et déranger une humanité surprise par cela même qu'elle invente. C'est la force singulière de cette méditation d'expérience, qu'elle touche ainsi au plus vif des interrogations contemporaines en les renvoyant à leur provenance énigmatique – l'homme même, l'homme de toujours dans sa figure actuelle, cet animal dénaturé qui « recrée la création » (44) et se trouve aujourd'hui « à la fois aiguisé et épuisé, dénudé et suréquipé, intrus dans le monde aussi bien qu'en soi-même » (45).

Francis Guibal

Mai 2000 : Revue des Livres - Choix de Disque - Sommaire du numéro

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