Jean COCTEAU
OEuvres poétiques complètes
Édition établie sous la direction de Michel Décaudin. Gallimard, La Pléiade, 1999, 2 000 pages, 445 F.

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« J'ai l'angoisse de l'heure... et j'ai peur de la vie. » Dès son premier recueil d'adolescent caressé par la gloire, on entend le cri sourd de celui qui passa toujours pour un prestidigitateur, un simple virtuose. Au milieu du chemin de son existence, il écrit encore : « Mort à l'envers de nous vivante, tu composes la trame de notre tissu. » Rien d'étonnant qu'il résume à l'avance tout son parcours dans le Discours du grand sommeil : « La poésie ressemble à la mort. » Et celle-ci, il est vrai, frappe à tour de bras autour de lui : Jean Le Roy, Radiguet, Jeanne Bourgoint, Jean Desbordes, Marcel Khill, « mes amis, mes chers amis./Où la mort vous a-t-elle mis ? » Il tenta sans cesse de la prendre de vitesse par l'accélération de ses métamorphoses. Mondain et maudit, il multiplie ses masques pour s'échapper hors de lui-même. Il use de tous les tons, de tous les styles, pirouette à travers les mots, car la poésie, selon son dire, « n'empêche aucunement la vivacité, l'enfantillage, les jouets d'un sou, les farces, les fous rires que les poètes mènent de front avec la plus incroyable mélancolie ». Tout son effort vise à rendre « précieux » le terme usuel. Il faut que le mot banal devienne « insolite ». Et, certes, le péril est alors la préciosité, et pire encore, le piège des calembours (dont usent aujourd'hui, jusqu'à la nausée, tous les journaux dans leurs titres) : La rue meurt de la mer, G. Touchant G sans avoir l'R, Le mot ment Eve nue ! Ce n'est pourtant qu'un masque encore, ou plus exactement une armure de rayons pour se protéger des ennemis de l'ombre. « Le poète est le véhicule, le médium naturel de forces inconnues qui le manoeuvrent, profitent de sa pureté pour se répandre par le monde. » Au cours de son procès, Orphée est mis en accusation par l'ange Heurtebise : « Vous êtes accusé de vouloir sans cesse pénétrer en fraude dans un monde qui n'est pas le vôtre. » Plain-Chant, Prière Mutilée, La Crucifixion, Clair-Obscur, Le Requiem trahissent bien, en fait, la gravité du propos, à travers la musique fascinante des alexandrins et des rimes, semblable à une danse sur le fil, au-dessus du vide... « Ma poésie décalque l'invisible », lance-t-il. Elle se joue de lui aussi bien, par ses romans, ses films, ses dessins, ses peintures. Au terme, il va jusqu'à dire que l'esprit de poésie est « l'esprit religieux en dehors de toute religion précise », et cite Claudel, qui appelle Rimbaud un mystique à l'état sauvage. Certes, il se révolte, se détourne (comme sur sa fresque, dans une chapelle de l'église de Notre-Dame de France à Londres, où il tourne le dos à la Croix parmi les soldats jouant aux dés), mais confesse quand même en secret « le tendre aveu caché dans la courbe du non ». Et il écrit à Max Jacob : Être poète, c'est prier. Dans le frivole funambule un autre parle, tout à coup. « Le temps des hommes est de l'éternité pliée. »

Jean Mambrino

Mai 2000 : Revue des Livres - Choix de Disque - Sommaire du numéro

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