Femmes et Dictature |   |
 Pour commander |  Après l'arrestation de Augusto Pinochet à Londres (en octobre 1998), où résident des Chiliens exilés, on assiste à une réactivation du souvenir de la brutale répression chez les victimes de la dictature. Les épisodes cruels remontent à la mémoire avec force. Ce sont les persécutés d'hier qui forment la grande diaspora chilienne répartie en Europe. Jusqu'alors, et pour survivre à ce qu'ils avaient enduré, le silence s'était peu à peu installé. Ce n'était pas le produit d'une décision politique, comme certains les en accusent, ce n'était pas un oubli, mais c'est le silence qui garde dans la pudeur une histoire non résolue. Des centaines de témoignages ont éclaté comme des cris déchirants, et aussi la requête de mettre fin à l'impunité. Pour beaucoup de ces victimes, il est apparu que leur vie passait directement de la fin de la répression à la détention de Pinochet. Entre ces deux temps, elles avaient survécu sans histoire, tout était linéaire, et il fallait anesthésier les souvenirs pour ne pas se trouver dans un conflit perpétuel. En France, cinq Chiliennes, exilées depuis un quart de siècle dans la ville solidaire de Bordeaux, font partie d'un collectif de solidarité pour le Chili qui s'est renforcé lors de la détention de Pinochet. Chacune d'entre elles revit son expérience, prend conscience d'être une survivante. Le temps s'était arrêté ; mais les souvenirs réactivent ces très difficiles premières années de la dictature. Les récits recueillis et présentés par Catherine Blaya sont un apport supplémentaire pour qu'au Chili justice soit faite sur ce temps passé, et que chacune des protagonistes se réveille, assume et fasse partager sa vérité. Le futur offre aux Chiliens, et à ces cinq femmes en particulier, un espace de reconnaissance pour les souffrances endurées, et que le passé soit révisé, reformulé, revalorisé, qu'il prenne sens par leur dignité. Même si Pinochet retourne au Chili et si le procès engagé en Espagne n'est pas mené à bien, rien ne pourra éclipser le fait que, pendant plus d'un an, la vulnérabilité de l'ex-dictateur est apparue aux yeux du monde. La mémoire collective de l'humanité a pu enfin s'exprimer librement. La vérité a été connue en toute lumière ; cette mémoire historique revendique chacune des victimes et condamne avec sévérité les atrocités commises. Ce qui reste à faire est dans le camp des tribunaux chiliens, qui devront assumer la responsabilité de l'héritage en matière des droits de l'homme dans l'histoire du peuple chilien. La permanence et la force du futur démocratique du Chili dépendront de la manière dont ce pays aura fait mémoire de son passé.Marcel Young |
Avril 2000 : Revue des Livres - Choix de Disque - Sommaire du numéro
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