Philosophie, Poésie, Mystique |
Présenté avec pertinence et talent par Jean Greisch, ce beau volume reproduit une série de Leçons publiques de l'Institut Catholique de Paris en mars 1999 sur le triptyque Philosophie-Poésie-Mystique. Le morceau de choix est une remarquable et brillante étude du même Greisch intitulée, à la Levinas, « La trace de la trace ». Les expressions de pensée et de lyrisme les plus modernes y sont confrontées avec le langage augural d'un Hölderlin non encore revu et corrigé par Heidegger (voir, dans le même volume, le jugement sans appel de Maria Villela-Petit). Celui-ci, Heidegger, est néanmoins une référence élective. Servi par une connaissance incomparable de son oeuvre et de celle de Paul Celan, Jean Greisch sait tirer le meilleur parti du reclus de la Forêt-Noire. Mandelstam et Nelly Sachs sont aussi conviés à ce festin de cendres poétique, dont le mélancolique lyrisme donne beaucoup à penser. Auprès de cette contribution majeure, les autres essais pâlissent à peine. Le plaidoyer vigoureux d'Henri Meschonnic pour la rigueur de la traduction est bienvenu dans le contexte actuel, et non moins méritoire sa diatribe contre l'ésotérisme et le byzantinisme d'une philosophie à la mode, la confusion de la poétique et de la rhétorique, tout le prêt-à-penser d'une caste éphémère. Pierre-Jean Labarrière, à l'écoute de Michel Deguy, expose sobrement, cordialement, avec une discrétion exemplaire, un projet qui reprend l'entreprise de Feuerbach, « rapatrier les oxymores divins ». Deguy, c'est l'anti-Marcel. Nathalie Nabert nous emmène vers une autre époque, une autre perspective, lorsqu'elle analyse finement chez certains moines médiévaux « les dérives de la parole contemplative, une poétique de la fusion ». Enfin, Maria Villela-Petit, déjà nommée, se couvre d'une citation d'Octavio Paz pour mener une recherche aussi sagace qu'érudite, aussi subtile que savante, sur la relation très ancienne Empédocle et Platon ! entre la philosophie et la poésie. Elle regarde du côté de Hölderlin et de Heidegger, avec Rousseau en travers, sans se laisser abuser. Une très belle étude, qui ouvre dignement l'ensemble. Une phrase de sa conclusion pourrait servir d'épigraphe à tout le volume : bienheureux les penseurs qui demeurent attentifs à la parole des poètes ! A condition, complète Meschonnic, qu'ils ne leur dictent pas ce qu'ils ont à dire. Xavier Tilliette |
Mars 2000 : Revue des Livres - Choix de Disque - Sommaire du numéro
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