Vladimir NABOKOV |
Etrange figure que celle de ce romancier, confiné en des cercles restreints, grand spécialiste des papillons, devenu célèbre pour un seul roman à scandale (« la fameuse Lolita »), qui écrivait en deux langues (le russe et l'anglais), pensait en trois simultanément (russe, français, américain), à quoi s'était surajoutée une saison allemande ! Il finit par s'installer à Montreux, en Suisse, et mourut à Lausanne, vingt ans plus tard, des suites d'une chute en montagne, lors d'une chasse aux papillons. Selon son propre dire, c'était un homme qui pensait en images. Ce premier tome (il y en aura trois) est consacré aux « années russes », et va jusqu'en 1937. Ces romans pleins de contrastes, écrits à Berlin en langue russe, par un exilé parmi des exilés, évoquent des souvenirs de la Russie d'autrefois, d'une poignante poésie (Machenka, L'Exploit), ou mettent en scène, avec une froideur glaciale, une dérision provocante, des personnages grotesques, sinistres et désespérés de l'émigration russe en Allemagne, alors que grandit l'ombre infâme de la Bête nazie (Roi, Dame, Valet, Le Guetteur, La Défense Loujine, La Chambre obscure). Toutefois, son approche n'est jamais politique domaine dont Nabokov s'est toujours tenu éloigné, qu'il s'agisse de l'hitlérisme ou du communisme, car un poète, disait-il, « doit être aussi libre, sauvage et solitaire que le voulait Pouchkine ». Son univers, bien que réaliste, est d'ordre onirique, secrètement métaphysique. Complexe, subtil, amoureux des jeux de miroirs, il va s'approfondir en se métamorphosant dans sa période américaine. Il écrivit à Paris (en russe) son premier chef-d'oeuvre, Le Don, dont on peut regretter l'absence dans ce volume car il éclaire les racines profondes de ce génie déraciné. Il trouvera son écho bien plus tard, dans le second chef-d'oeuvre de l'auteur, paru dix ans avant sa mort, Ada ou l'Ardeur. J'en reparlerai, en tentant de saisir, à travers les jeux érotiques de Nabokov, la gravité de sa démarche, qui lui a fait dire, lors d'une lecture publique, à la fin de sa vie : « Je crois qu'il faut savoir interpréter les signes. Le romancier, c'est le traducteur de Dieu. » Jean Mambrino |
Mars 2000 : Revue des Livres - Choix de Disque - Sommaire du numéro
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