Vincenzo FERRONE, Daniel ROCHE (sous la dir. de)
Le Monde des Lumières
Fayard, 1999, 638 pages, 198 F.

Arlette FARGE
La Chambre à deux lits et le cordonnier de Tel-Aviv
Essai. Le Seuil, 2000, 152 pages, 120 F.

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Contre « le stéréotype » (p. 506), aujourd'hui très en cour, selon lequel les Lumières conduisaient, par une nécessité interne ou une mystérieuse téléologie – version du célèbre jésuite Barruel –, à la Terreur révolutionnaire, puis aux totalitarismes dévastateurs du XXe siècle, ce livre redonne vie, magnifiquement, à un mouvement social et intellectuel d'émancipation en tous domaines, étonnant de courage mais aussi de lucidité ; la modernité naissait là au XVIIIe, aux horizons infiniment plus larges et plus souples, dans l'idée concrète de cosmopolitisme, que nos particularismes patriotiques et nos universalités libérales. Une cinquantaine de contributions courtes (L'homme des Lumières, Morale, Utopie, Musique, Livres, Villes, Pays...), cinquante pages d'orientations bibliographiques, autant pour une conclusion magistrale, inexistante jusqu'à ce jour, sur la réception des Lumières depuis 1789 en France et en Allemagne surtout, tel est le contenu de cet ouvrage. – De manière tout autre, Arlette Farge ranime, avec tact et amitié, le XVIIIe populaire à Paris, ce que furent les voyages, l'eau, la foule, les corps, la vie domestique. Mais ici la conscience de l'écriture de l'histoire, « la rencontre d'un autre qui a disparu », est entremêlée à la lecture du passé. Arlette Farge a tout lu, mais les archives mêmes redonnent-elles la vie ? Illusion du savoir. Il faut autre chose, ce détour de l'émotion par des photographies prenantes (Depardon, Lewis W. Hine, Sophie Ristelhueber, Dorothea Lange) qui disent ce qui a lieu et s'en va, pour évoquer ce qui eut lieu, la souffrance, la vie multiple. Il faut l'écart de la photographie pour que, comme d'un rêve, le passé surgisse en lambeaux, mais en vérité. Surgit alors ici, à partir des rumeurs des archives, tout un monde de souffrance et de jubilation, « où tout est à découvert », qu'Arlette Farge décrit, aussi étonnamment qu'elle décrit les photos de l'aujourd'hui, sans jamais penser violer un secret d'autrefois. En fond de tableau, de grandes voix se font entendre (Diderot, Laclos, Greuze et l'inoubliable Sébastien Mercier...), des indicateurs de route aussi (Barthes, Certeau, Rancière, Roche). Surgit l'image d'un monde épris de liberté, de sociabilité, de parole, de présence à soi-même et à autrui, d'une cité vivante, qui n'a pas eu beaucoup de ressemblance, qui est peut-être le plus proche de nous, cela en tout cas dont nous manquons et avons besoin. Un livre rare.

Guy Petitdemange

Mars 2000 : Revue des Livres - Choix de Disque - Sommaire du numéro

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