Jean ROUAUD
Sur la scène comme au ciel
Roman. Ed. de Minuit, 1999, 190 pages, 85 F.

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Même si l'on n'a pas lu la magnifique série de romans-mémoires où Jean Rouaud, depuis Les Champs d'honneur, n'a cessé de remonter jusqu'à ses origines (à travers ses grands-parents, son père disparu et enfin sa mère, héroïne de Pour vos cadeaux), on pourra entrer dans son dernier livre avec émotion et émerveillement, car ici se dévoilent, précisément, les merveilles de la vie ordinaire pour qui sait les scruter avec amour. L'auteur entremêle avec un art pudique la voix de sa mère à la sienne. Il lui donne la parole après avoir recréé en tant de pages l'existence de son père, de sa famille, de son enfance. Pour ce faire, il ose entrer en elle, en ce qu'il faut bien nommer son âme, son âme de jeune fille, de jeune femme, d'épouse passionnément amoureuse, de veuve (si jeune encore : seulement 17 ans ! gémit-elle), de mère à peine revivante après un deuil si déchirant, et jusqu'au bout rayonnante de dévouement et d'humanité. Le don du romancier devient divination, à travers quelques lettres, cartes brèves, photos jaunies, papiers anciens. Il s'efface, communie, la laisse s'exprimer par sa voix. « Peut-être au fond est-ce vraiment moi qui parle à travers lui. Cette chair commune, ces mémoires enchevêtrées, ces souvenirs mutuellement adoptés, ces voix comme des pelotes de fils emmêlés, si bien qu'à la fin on ne sait plus qui parle pour qui. » Et dans cette lumière si douce ce n'est plus (seulement) le père qui apparaît — comme dans les précédents livres —, mais l'époux dans sa jeunesse d'homme, une nouvelle figure, ardente et gaie, telle que le voit toujours dans son coeur celle qui est célébrée ici. Rien de plus bouleversant, de plus sacré, car il semble resurgir d'au delà de la vie, comme le Jardinier divin ou le Pèlerin d'Emmaüs à peine reconnaissable (C'est toi, Joseph ?), par un rapprochement audacieux, où Jean Rouaud, citant l'Evangile, frôle l'indicible. Le fils cherche ainsi le secret de son origine, tout au long de l'existence d'un couple sans histoire, dans une contrée rigide de la France profonde. Au bas d'une lettre de son père à sa mère, peu avant sa mort prématurée, il découvre : « Je t'embrasse — comme je t'aime. » Nous pouvons alors nous éloigner sur la pointe des pieds pour les laisser à leur « éternelle nuit de noces ». L'humanité commune, pétrie d'amour et de larmes, n'a pas dit son dernier mot.

Jean Mambrino

Février 2000 : Revue des Livres - Choix de Disque - Sommaire du numéro

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