J. M. G. LE CLÉZIO |
Ces deux histoires, enracinées dans notre temps, semblent immémoriales. Hasard (la plus longue et la plus récente) entremêle deux récits, deux destins. Le premier est celui d'une adolescente, Nassima, hantée par le souvenir de son père, un médecin antillais qui a abandonné sa famille pour courir le monde, plongeant sa femme dans un véritable exil intérieur, proche du désespoir. Nassima va parvenir à s'embarquer clandestinement sur le Azzar, yacht splendide ancré dans le port de Villefranche, qui appartient à un personnage légendaire (c'est le second destin), un certain Juan Moguer, aventurier richissime et solitaire, à la fois cinéaste et forban, aussi abandonné dans la vie que la petite fille déguisée en garçon qui s'est réfugiée à son bord. Elle s'enfonce avec lui dans les profondeurs océanes, à la recherche d'un absolu qui se dérobe toujours à leur soif hallucinée. Angoli Mala, la seconde histoire, écrite il y a quinze ans à partir d'un fait-divers, raconte le retour au pays d'un jeune Indien waunana, Bravito, élevé à Panama par un pasteur noir américain. A la recherche de ses origines, les splendeurs et les légendes d'un paradis perdu, Bravito découvre un peuple dégradé par l'alcool qui se traîne dans les chaînes d'un nouvel esclavage, celui des petits tyrans locaux et des intérêts étrangers. Malgré l'amour d'une jeune noire, il deviendra presque fou de solitude et de désespoir, dans sa révolte sans issue. Il finira assassiné. Les deux récits ont une splendeur terrible et nue, parmi les forêts indiennes ou les tempêtes de l'Atlantique. La longue traversée de Nassima et de Moguer sur le voilier magique renouvelle notamment, de façon surprenante, tant de descriptions fameuses de la mer en furie ou livrée à un éternel sommeil. Un souffle immense soulève les mots, remplit la voile de l'âme, gonflée par cette force mouvante qui l'emporte au delà d'elle-même. Oui, c'est bien du pays de l'âme qu'il s'agit, où palpite tout au fond, parmi tant de douleur, d'abandon et de soif, une secrète tendresse, qui pour la première fois prend la forme de la prière. « Nassima parlait de Dieu. C'était un jour rêvé pour parler de l'au-delà [...] Elle lisait la Bible de Soeur Simone ; sur la page de garde il y avait écrit, d'une écriture enfantine (celle de Soeur Simone, avait-elle pensé), maladroite : PARDON POUR TOUT, SEIGNEUR, 30/03/80 12 h 00. » Ici l'on respire un vent venu de l'infini. Jean Mambrino |
Novembre 1999 : Revue des Livres - Choix de Disque - Sommaire du numéro
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