John CORNWELL |
Cet ouvrage du journaliste anglais John Cornwell, porté en septembre par une campagne publicitaire exceptionnelle, n'a pas eu plus d'échos que ceux d'un brûlot qui a fait long feu : des critiques français nettement réticents, au moins ceux qui connaissaient le sujet ; des critiques anglais et américains plus favorables, dans la mesure où l'auteur reprenait à son compte une thématique répandue aux États-Unis ; des Italiens et des Allemands plutôt sceptiques sur la nouveauté du travail ; un public qui ne s'est pas hâté de l'acheter... Bref, ce qu'on nomme « faire un flop ». Faut-il donc lui consacrer une notice ? Au moins pour prendre date dans une évolution historiographique dont les prochaines échéances, du moins vraisemblables, seront déterminées par la convocation d'une commission mixte d'historiens et par l'annonce que la procédure de canonisation de Pie XII sera considérée comme close. Cornwell, en effet, inscrit son enquête dans une démonstration plus longue, celle de la stratégie de centralisation et d'hégémonie qui a inspiré les papes, de Pie IX à Jean Paul II, lequel s'est, selon lui, montré plus « autocrate » qu'aucun de ses prédécesseurs. Pie XII, dit-il, en a été le théoricien puis, à partir de 1917, le praticien. Cornwell le qualifie de « pape de Hitler », pour signifier que deux autoritarismes se sont alliés pour leur sauvegarde respective. La thèse n'est pas neuve, mais sa mise en place est explicitement dictée par la passion d'un catholique américain d'aujourd'hui, dans le cadre d'une polémique protéiforme contre ce très long pontificat. Ancré dans son anachronisme, Cornwell n'a réemployé des matériaux historiques que ce qui servait son dessein. Sa thèse s'inspire de très près des travaux de Klaus Scholder, historien allemand, protestant, bon spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Eglise, et ne tient aucun compte du débat qui l'opposa au P. Ludwig Volk, jésuite, qui consacra sa vie à interroger les vicissitudes du catholicisme allemand. L'un des enjeux majeurs porta sur la négociation du Concordat de 1933 et la disparition du Centre catholique. Cornwell soutient catégoriquement que la seconde fut la condition de la première, par la volonté du nonce Pacelli. Une assertion que bien des historiens contestent. Cornwell n'a eu qu'épisodiquement recours aux documents diplomatiques des pays impliqués allemands, anglais, italiens, français et fort peu à la collection des Actes et Documents publiés par le Saint-Siège. Ses éditeurs et lui-même ont fait grand état des « révélations » puisées dans les « archives secrètes » du Saint-Siège, qu'il aurait eu l'autorisation de consulter. L'assertion est ici fallacieuse, pour le dire en termes modérés. Car la période qu'il a examinée est libre d'accès depuis 1986, jusqu'au pontificat de Pie XI. Elle couvre, en particulier, toute la guerre et la situation de l'Allemagne de Weimar à ses débuts. Trois historiens au moins, sous réserve de plus amples informations, en ont largement fait état : le Français Francis Latour, étudiant les problèmes de la paix ; les Italiens Emma Fattorini et Stefano Trinchese, consacrant parallèlement leurs recherches aux relations entre le Saint-Siège et le Reich jusqu'en 1922. Ces deux derniers ont si largement utilisé les dépêches et télégrammes de Mgr Pacelli, nonce à Munich, que ce fonds ne cache vraisemblablement plus de mystère. Selon un communiqué du Saint-Siège, Cornwell, qui prétend avoir travaillé six mois aux Archives, n'y a passé que trois semaines. C'est là qu'il a déniché la « bombe » d'une phrase du nonce, détachée de son contexte, signalant que le chef de la « république des conseils » à Munich, en 1919, était un « juif russe ». Cornwell en déduit la preuve que Pie XII avait toujours été antisémite, d'où plus tard ses « silences ». Ledit document, de février 1919, a d'ailleurs été publié intégralement, avec une centaine d'autres, par Madame Fattorini. S'il s'était reporté aux documents diplomatiques et aux articles de presse de l'époque, il aurait constaté que tous employaient la même qualification. Ce qui renverrait à s'interroger sur l'ampleur et les signes d'un antisémitisme social ou mental généralisé, non à faire le procès particulier d'un diplomate pontifical. Enfin, John Cornwell s'est appuyé globalement sur les ouvrages en langue anglaise (y compris quelques traductions) consacrés au sujet. Il semble avoir ignoré les multiples travaux partiels en allemand, en italien, en français, qui, souvent publiés en revue, ont examiné, rectifié, redessiné toute la problématique, dans le souci, progressivement mûri, de « l'inscrire dans l'Histoire », c'est-à-dire de la resituer dans son temps, en évitant de la remodeler avec les passions ou les questions du nôtre. Jacques Nobécourt |
Novembre 1999 : Revue des Livres - Choix de Disque - Sommaire du numéro
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